Portrait L.Campos : le travail et le talent

Portrait L.Campos : le travail et le talent

9 juin 2020 1 Par Franck C

Alors qu’un certain Paul Mitchell pourrait débarquer sur le Rocher en tant que nouveau Directeur Sportif de l’ASM, c’est un homme très convoité et reconnu pour son talent de recruteur hors pair que le club princier aurait pu (re)faire venir il y a quelques semaines. Luis Campos a été en effet annoncé potentiellement sur le retour en Principauté en mai dernier même si depuis un départ du LOSC ne semble plus d’actualité avec le démenti formel de l’intéressé et de son président G.Lopez la semaine dernière. La carrière de ce spécialiste émérite du recrutement est intéressante car elle s’est inscrit dans l’histoire même du club monégasque de 2013 à 2016. A travers la réussite de différents recrutements et reventes de joueurs clés de l’effectif monégasque dont il est à l’origine (J.Rodriguez, R.Falcao, J.Moutinho, T.Lemar, B.Silva, T.Bakayoko, Fabinho, B.Mendy, G.Kondogbia, A.Martial, R.Lopes, R.Carvalho…), Campos a finalement contribué symboliquement à « semer les graines » d’un titre de Champion de France en 2017 (même si le Portugais quitta officiellement le club presque un an avant le sacre national). En montrant à la Ligue 1 son savoir-faire acquis il y a déjà quelques années au Real de Madrid avec un certain J.Mourinho, Campos a ensuite décidé de participer au nouveau projet du club des Dogues et c’est là encore une franche réussite pour lui et le club nordiste. Le Portugais est considéré par bon nombre de clubs européens comme un « fin stratège » pouvant mettre en œuvre une politique de transferts et de trading « sur mesure » synonyme de profits juteux. Portrait d’un homme travailleur et talentueux qui ne laisse pas indifférent dans le monde du football professionnel et dont les amis proches se nomment C.Ronaldo, J.Mendes et J.Mourinho.

 

Un début de parcours « mourinhesque »

Avant de devenir le spécialiste du recrutement que l’on connait, Campos a été entraîneur au Portugal. En 1998, lancé à 27 ans à l’Uniao de Leiria, il connait ensuite différentes expériences dans des clubs portugais plutôt modestes comme Esposende, Leça ou au sein de clubs professionnels comme Penafiel, Gil Vicente, Vitoria de Setubal, Varzim et Beira-Mar et ce jusqu’en 2005. Au bord des terrains, il y croise un certain José Mourinho alors en charge de la préparation physique du club portugais d’Espinho. Les deux hommes nouent connaissance sur la base d’un parcours presque similaire. Campos a vu ses espoirs de mener une grande carrière de joueur vite éteints comme Mourinho et il s’est replié lui aussi sur des études d’éducation physique, à la même époque que l’entraineur actuel de Tottenham. Malheureusement, Campos ne parvient pas à se faire un nom comme entraineur même si le style de jeu qu’il met en place au sein de ses différents clubs ne laisse pas indifférent. Et il connut même la relégation avec trois clubs (Varzim, Setubal et Beira-Mar) et hérita d’un surnom moqueur de « Campa » (« la tombe ») auprès des journalistes portugais. En 2005, après avoir tenté de redonner une autre voie à sa vie professionnelle, il choisit de se lancer dans le conseil technique avec des clubs portugais pour lesquels il commercialise des équipements et des DVD dédiés aux entraînements sous la marque « Training to Play ». Convaincu de pouvoir développer différemment ses compétences entrainement, Campos choisit alors la voie du recrutement de joueurs dont la finalité est de parvenir à terme au trading, voie en vogue dans les plus grands clubs de football européens. Il ne sait pas encore que ce nouveau chemin lui apportera la renommée qu’il détient aujourd’hui.

 

L’aide et l’appui de réseaux influents

Sa carrière ne pouvait cependant pas décoller sans l’aide de personnages clés. En se lançant dans le recrutement de joueurs, Campos va alors beaucoup s’appuyer sur Gestifute, la société de l’influent agent Jorge Mendes. Les deux hommes sont proches et collaborent fréquemment. Cependant, l’influence certaine d’un Mendes n’est pas forcément synchrone à l’intervention de Campos dans les clubs intéressés par les réseaux tentaculaires de Gestifute. Créée en 1996, la société de Mendes, agréée par la FIFA, permet à des clubs européens de recruter de façon ciblée des joueurs et de réaliser si possible des plus-values importantes liées à des transferts renommés ou même d’entraineurs. Campos tisse alors progressivement sa toile en s’appuyant sur l’énorme réseau de scouts de Gestifute et met aussi à profit ses relations passées au Portugal, celle de Mourinho entre autres. Le « Special One » » passé un temps par Porto (jusqu’en 2004) puis Chelsea (2007-2010) gagne ensuite le Real Madrid et a le réflexe de solliciter son compatriote recruteur qui arrive en Espagne en 2012. Le Portugais signe alors l’arrivée d’un certain L.Modric en provenance de Tottenham et garde un œil sur un certain Fabinho évoluant avec la réserve du Real et déniché par Campos alors qu’il évoluait à Rio Ave en L1 portugaise. Campos a déjà en tête le modèle de recrutement qu’il veut développer dans les clubs intéressés par le trading de joueurs. Ce modèle, c’est celui du club du FC Porto rompu aux titres nationaux au Portugal et aux compétitions européennes. Le club du nord du Portugal a en effet déployé, sous la houlette de son emblématique président J.N. Pinto Da Costa, une politique unique de trading visant à dénicher les meilleurs jeunes talents, à les former et à les revendre éventuellement au prix fort. Cette politique est simple : elle permet à un club de développer ses recettes hors des revenus classiques (billetterie, sponsoring, droits TV…) afin d’augmenter ses revenus. Ce genre de politique sportive décriée un temps (y compris pour l’ASM…) est devenue plus courante et « tendance » en Europe depuis 2016. Le trading se développe fortement et agace plus qu’il n’enchante les supporters des clubs qui le pratiquent et aussi les entraîneurs confrontés à cet aspect quelque peu spéculatif de l’économie Football. Campos surfe assurément sur cette vague montante et peut se targuer de rapporter beaucoup d’argent à ce système.

 

Un gros bosseur et un fin négociateur

Mais Campos ce n’est pas qu’un réseau d’agents, ce sont surtout des scouts partout en Europe et au-delà, de très bons scouts sur lesquels le Portugais peut compter et qui effectuent un suivi « chirurgical » des jeunes pépites ou de joueurs avec un potentiel de revente et plus-value. En complément, Campos maîtrise surtout la supervision des matchs des joueurs et des équipes. Il avait d’ailleurs lancé une méthode aboutie d’entrainement à la fin de sa carrière de coach. C’est assurément la marque de fabrique du Portugais ; « Si je travaille autant, c’est parce que je veux que ma ‘database’ soit actualisée en permanence. Parce que si les joueurs progressent tout le temps, je dois moi aussi toujours progresser » confiait-il en 2019 à un média portugais (Source Weeplay, media Liga Nos mars 2019). Même l’ex coach monégasque L.Jardim soulignait l’efficacité du travail de son compatriote : « Il y a des listes de joueurs entre 18 et 22 ans, un autre groupe entre 22 et 25 ans. Il intègre la valeur marchande, l’évolution du marché selon le pays…». (Source : JDD 2015).

Campos élabore en permanence des listes de joueurs aux caractéristiques bien précises et ce pour tous les postes d’une équipe de football. Ce savoir-faire lui donne une longueur d’avance quand on évoque le recrutement de futures pépites du football. Quotidiennement, Campos échange sur tel ou tel profil avec agents, coaches et recruteurs et fréquente lui-même le Tournoi de Toulon depuis quinze ans. Stéphane Paille, ancien recruteur pour le Real Madrid témoigne également : « Luis c’est d’abord quelqu’un de discret. Plus que tout, il aime travailler dans l’ombre. En fait, il aime être tranquille et avoir du recul pour avoir une meilleure capacité d’analyse… ».

Campos est aussi un homme habile en négociations multipartites. Car, en plus de parler plusieurs langues (dont le Français, l’Anglais, l’Espagnol), Campos peut se targuer d’avoir un excellent relationnel et un sens des affaires aiguisé. « C’est une personne très droite, ouverte d’esprit, qui travaille avec tout le monde. Il sait de quoi il parle, il est très respecté » révèle un influent agent français qui a travaillé avec l’ASM. Avec les clubs pour lesquels il a été et est « pigiste » (en effet, Campos n’est pas salarié direct des clubs pour lesquels il œuvre), le Real Madrid, le FC Porto, l’ASM et le LOSC, Campos est un “électron libre” mais qui recherche avant tout l’intérêt sportif et financier de son employeur.

 

Monaco : succès et regrets

A son arrivée officielle à l’ASM en 2013, il lui aura fallu peu de temps pour faire d’abord office de conseiller à la présidence puis « directeur technique” de l’ASM en août 2014. Dmitry Rybolovlev, et Vadim Vasilyev, ont très vite accordé leur confiance au Portugais qui avait réussi de main de maître à conclure les transferts du trio VIP « Falcao-Rodriguez-Moutinho » en juin 2013 certes bien aidé par l’influent J.Mendes.

De par son expérience d’entraîneur et sa compétence au niveau du football international, Luis est un lien important entre la direction et le staff. Il coordonne la stratégie sportive à mes côtés, et s’y montre efficace.” clamait alors Vasilyev à la presse française en 2014. Aucune grande décision concernant de près ou de loin le sportif n’a échappé à l’approbation du Portugais.  Campos a su convaincre des « stars » du foot européen de rejoindre l’ASM grâce à ses réseaux et sans forcément recourir systématiquement à Mendes quelque peu en disgrâce sur le Rocher à la fin de la saison 2013-2014. Et il a su s’adapter quand le projet du club princier a changé et lorsque la stratégie a été de miser sur les jeunes joueurs (encadrés par des joueurs confirmés) et leur revente avec belle plus-value à partir de la saison 2014-2015. Les transferts juteux d’A.Martial (M.U.), de G.Kondogbia (Inter Milan), de James Rodriguez (Real Madrid) à l’été 2015, c’est aussi Campos.

En 2016-2017, l’ASM fut l’équipe la plus jeune en Ligue des Champions et Campos fut à l’origine de ce pari risqué mais efficace qu’il a soufflé à l’oreille de Vasilyev. Le Portugais a aussi eu cette capacité à savoir récupérer des joueurs quasi inconnus comme Bernardo Silva qu’il est allé chercher en équipe réserve au Benfica Lisbonne ou à « imposer » K.M’Bappé dans l’effectif professionnel monégasque. Il a aussi dénicher de jeunes joueurs prometteurs pour l’Academy monégasque comme le talentueux latéral gauche R.Vinagre (Wolverhampton) parti de la Principauté en 2017.

Surtout, Campos a joué un rôle inédit de médiateur pour le club monégasque avec la famille d’un certain K.M’Bappé. Le Portugais témoigne : « Le jour de mon arrivée à Monaco, Kylian n’était pas heureux au club, révéla l’année dernière le directeur sportif de 55 ans. “Je me souviens d’avoir rencontré sa famille et la famille disait qu’il ne resterait pas. Il ne jouait pas, nous ne comprenions pas. Je l’ai donc regardé jouer pendant dix minutes et je pensais : “C’est un joueur extraordinaire, il doit rester dans le club”. Je l’ai mis dans l’équipe B et au bout de deux mois, il a fait la différence. Il a vite eu besoin de faire partie de l’équipe première. Selon moi, il est le prochain meilleur joueur du monde. » (source Sky Sports-Octobre 2019). Idem pour le cas de F.Bahlouli prêté un  temps au Standard Liège et dont Jardim voulait se séparer. Campos a dû faire le tampon entre le coach monégasque et l’agent du joueur : “Luis, c’est un bonhomme » témoigne le représentant du joueur : « Il est différent des autres dirigeants, il se distingue par rapport à sa ténacité. Et quand il dit c’est bon, c’est bon. Aussi simple que ça“. (Source Eurosport – Septembre 2016).

Le Portugais sait également multiplier les rendez-vous avec les agents les plus coriaces. Dans son carnet d’adresses, il y a bien sûr Jorge Mendes, mais aussi d’autres agents bien connus en France et en Europe : “Chaque fois que je lui ai signalé ou proposé des joueurs, il m’a écouté, souligne Hervé Marchal, agent de Mounir Obbadi et Kevin N’doram notamment. « Surtout ce qui me plait chez lui, c’est qu’il argumente, qu’il donne ses raisons. Ça veut donc dire qu’il est à l’écoute, alors que je suis supposé être en dehors de son réseau. Donc on peut vraiment dire que c’est quelqu’un d’ouvert.” (Source Eurosport – 2016).

L’idylle monégasque s’est pourtant arrêté en août 2016 car le Portugais a pour habitude de fonctionner par cycles de trois à quatre ans avant de changer d’horizon. Toujours très respecté à Monaco, Campos a gardé des contacts étroits avec certains joueurs partis depuis du Rocher (Bernardo Silva, Bakayoko, Fabinho, Boschilia) et avec certains du Real Madrid (Ramos, Morata, Benzema).

 

ASM, OM, Tottenham…Le LOSC finalement.

Annoncé il y a quelques jours en arrivée potentielle sur le Rocher où il aurait pu prendre le poste de Directeur Sportif laissé vacant, mais aussi à Tottenham également où officie J.Mourinho, ou encore à l’OM, Campos n’a semble-t-il pas souhaité donner suite à ces sollicitations…

Bien qu’il ne soit pas contractuellement lié au club nordiste (Campos est un consultant du club sous l’entité de sa société personnelle « Scoutly Limited »), le Portugais est plus que jamais l’homme de base du projet du LOSC depuis l’arrivée de G.Lopez en 2017. Certains diront que son coup de gueule récent était destiné à faire réagir G.Lopez et à conforter son énorme influence au sein du LOSC, peut être en le nommant officiellement directeur sportif, ou pour une nette augmentation de ses émoluments…

Les arrivées d’Ikoné, Yazici, Renato Sanches, Bamba, José Fonte, Osimhen ou encore Çelik, c’est Campos. Depuis le début du confinement lié à l’épidémie de Covid-19 et suite à l’arrêt de la Ligue 1 en mars dernier, le quinquagénaire portugais a émis de fortes critiques sur l’arrêt injustifié et trop rapide de la Ligue 1 selon lui, critiques qui l’ont amené à un conflit larvé avec Julien Mordacq, directeur administratif et juridique du LOSC. Campos ne s’est pas gêné d’ailleurs pour exprimer sa colère à son président. Il faut dire que l’homme a du caractère. Les deux hommes se sont expliqués à l’abri des caméras et des micros fin mai dernier.

Lopez,président du LOSC , lui-même le confirme : « Luis a principalement la haine de la défaite (…) Le ras-le-bol de Luis est venu d’un sentiment d’injustice. Il était convaincu, comme les joueurs et le reste du club, que nous allions terminer sur le podium. Il s’est énormément investi dans le projet. Il a très mal vécu l’arrêt de la L1. Le fait de devoir accepter une décision parce qu’elle avait été prise à un niveau si élevé (gouvernemental). Il a eu du mal à supporter que l’on s’emballe (pour stopper la Ligue 1). Cela s’est renforcé quand il a vu que les autres reprenaient. Il n’y a jamais eu de problème entre nous. Par exemple, Luis veut que nous soyons encore plus proches pour le mercato et que nous décidions ensemble de certaines choses. Aujourd’hui, il a une revanche sportive à prendre. Comme moi. Le LOSC aussi. On travaille sur la constitution de la saison prochaine.” (Source RMC Sport-2 juin 2020).

G.Lopez a tenu il y a quelques jours à recadrer les choses concernant les sollicitations autour du Portugais : « Il reçoit tout le temps des offres, et il m’en fait part ou il n’y répond même pas ». Lopez affirmant ensuite : « L’argent n’est pas un moteur pour Luis Campos. » (Source Daily Mail- Juin 2020). Campos lui-même a sonné le glas de certains espoirs de club européens concernant son avenir le mois dernier : « C’est vrai que j’ai eu des propositions pour donner une nouvelle orientation à ma carrière, mais la vérité est que je me sens bien ici. Ce sera très difficile de me faire partir de Lille ». (Source Maisfutebol.iol.pt – avril 2020).

C’est peu dire en effet que le LOSC perdrait gros en laissant partir Campos. Selon une récente étude du CIES (Observatoire du Football), le LOSC est le club des cinq plus gros championnats européens (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne, France) qui réalise le meilleur excédent entre le montant total des joueurs vendus et le montant total des joueurs achetés : +249 M.d’euros entre 2010 et 2019.  Les Dogues devancent dans ce classement l’AS Monaco (+215 M.) et le club italien du Genoa (+193 millions).
En 2019, après une saison sous haute surveillance financière par le DNCG, le LOSC a affiché une balance des transferts positive de +83 millions d’euros, grâce notamment aux ventes records de Nicolas Pépé (acheté 10 millions à Angers et revendu 80 millions à Arsenal) et Rafael Leao (arrivé libre et vendu 35 millions d’euros bonus inclus au Milan AC).

Peu de temps après son arrivée au LOSC, Campos a vite prôné auprès de Lopez et d’Ingla l’aspect communautaire de sa politique de recrutement en faisant venir beaucoup de joueurs du Portugal. Avec cette forte connotation lusitanienne, la communication fut plus facile. Avec toujours la même idée. Réunir des joueurs d’expérience et des jeunes en devenir. En quelque sorte, miser sur l’alliance entre prime à l’expérience en défense et talent débridé allié à la jeunesse en attaque. Le succès de cette politique est évident.

Et les projets ne manqueront pas pour le Portugais dans les jours à venir, le LOSC étant sur le point de finaliser le rachat d’un club belge de Jupiler League, l’Excelsior Mouscron.

Même si le club belge est actuellement en procédure judiciaire pour garder sa place parmi l’élite du foot belge, et ce, suite à de gros problèmes financiers, Campos est fortement pressenti pour prendre la direction sportive du club, poste clé qu’il aimerait certainement obtenir officiellement au LOSC. Une nouvelle étape pour le Portugais, certainement pas la dernière pour ce globe trotter du monde du football.

Photo : Jc Magnenet – Icon Sport