Freddy Adu: Arnaque du siècle ou erreur de casting?

4 juin 2018 3 Par Jordan M.

Le 21 juillet 2018, cela fera 10 ans que le jeune américain Freddy Adu, présenté comme un crack aux États-Unis, a posé ses valises en Principauté. L’occasion de revenir sur le pourquoi du comment et de répondre à une question.

Freddy Adu est-il l’arnaque du siècle ou a-t-il simplement été une erreur de casting pour l’AS Monaco ?

 

D’abord, car les plus jeunes d’entre nous ne le connaissent pas forcément tant, à 29 ans seulement, il a disparu des radars, qui est Freddy Adu ? Retour 14 ans dans le passé, à Washington DC, la capitale américaine. Le 3 avril 2004, lors de la première journée de la Major League Soccer, le championnat américain, les supporters de DC United, le club de la ville, assistent au match entre le club Washingtonien et les Earthquakes de San José. À la 61ème minute, le speaker annonce un changement : Alecko Eskandarian cède sa place à Freddy Adu, 14 ans, à la pointe de l’attaque des Black-and-Red.

Près de 25.000 spectateurs assistent à l’entrée du précoce attaquant passé par la IMG Soccer Academy, l’équivalent américain de Clairefontaine, et courtisé par de nombreux grands clubs, notamment avec insistance par l’Inter Milan. Parmi eux se trouve Landon Donovan, qui deviendra une légende de la MLS et de la sélection américaine, présent sur la pelouse, sous le maillot des Earthquakes. L’histoire est en marche, pense-t-on. Adu ne marquera pas lors de ce match. Il faudra attendre la troisième journée et un match face aux MetroStars (aujourd’hui Red Bulls de New York) pour voir le jeune Adu faire trembler les filets pour la première fois de sa carrière professionnelle.

Adu – Source: sandiegouniontribune.com

Lors des saisons 2004, 2005 puis 2006, Adu monte en puissance. Il dispute de plus en plus de matches, est de plus en plus souvent titulaire. Il inscrit malgré tout assez peu de buts en rapports du temps passé sur les prés. Mais, l’indulgence est de mise pour Adu qui n’a pas encore 18 ans quand il quitte DCU pour le Real Salt Lake, toujours en MLS, un championnat que l’on dit alors en pleine explosion et progression. Sous les couleurs de la franchise de l’Utah, il ne dispute que 11 petits matches pour un but. Au final, dans le championnat américain, Adu aura disputé 102 matches, inscrit 12 buts et délivré 10 passes décisives. Des statistiques pas exceptionnelles mais très prometteuses pour un joueur pas encore majeur. Au point que le roi Pelé lui-même adoube Freddy Adu.

Direction Lisbonne

Adu et Pelé

Adu et Pelé – Source: docbao.vn

À l’été 2007, sa saison avec le Real Salt Lake est tronquée et il quitte les États-Unis par la grande porte, portant les espoirs de tous les fans de soccer américain, direction le Benfica Lisbonne. Le club portugais n’hésite pas à investir 1,5 millions d’euros sur l’américain (à une époque où les prix des joueurs étaient encore raisonnables, notamment les prix des jeunes espoirs).

Cet été là, Adu fête ses 18 ans et c’est l’heure pour lui de confirmer et de s’imposer dans l’une des meilleures équipes d’un championnat très hétérogène et à la réputation assez faible. Là-bas, il côtoie les grands espoirs David Luiz, Fábio Coentrão – qui a porté le temps d’une saison les couleurs de Monaco – et Ángel Di María de la même génération que lui (à un ou deux ans près) qui finiront tous par signer dans un top club européen. Adu, lui, réalise une saison en demi-teinte, joue 11 matches pour 2 buts inscrits et est envoyé en prêt à l’AS Monaco la saison suivante.

Remettons les choses dans leur contexte. Lorsque Freddy Adu s’engage avec les Rouge et Blanc, cela fait quelques semaines que l’AS Monaco a un nouveau président en la personne de Jérôme De Bontin. Ce franco-américain, issu du monde des affaires et de la finance, a effectué ses études dans la même université que le Prince Albert, dans le Massachussetts, est titulaire d’un diplôme d’entraîneur et a siégé à l’USSF (l’équivalent de la FFF aux États-Unis), il
n’est donc pas là par hasard.

Jérôme De Bontin veut tenter le coup Adu

 

Jérôme De Bontin, comme précisé ci-dessus, est franco-américain, vit aux États-Unis et y travaille. Il est très ancré dans le milieu des affaires et du sport américain – on a d’ailleurs parlé de lui lors de l’épisode du rachat de l’AS Saint-Étienne par un fonds d’investissement américain – et est très imprégné de culture américaine, notamment en matière de management sportif. De ce fait, il n’a pas pu passer à côté de celui pour lequel les médias sportifs (américains et européens) ne manquent pas de superlatifs. Il veut tenter le coup Adu et faire de l’AS Monaco le club de celui que l’on surnomme « le prodige » ou encore « le nouveau Pelé ».

Un accord est donc trouvé avec le Benfica Lisbonne pour un prêt du jeune américain qui rejoint la Principauté au mois de juillet 2008. S’il est absent lors des deux premières journées de championnat car retenu avec la sélection américaine pour disputer les Jeux Olympiques de Pékin, il intègre le groupe dès la troisième journée et un match au stade Louis II contre le Stade Malherbes de Caen. Il entre en fin de match mais cette entrée ne parvient pas à satisfaire les supporters, curieux de voir à l’œuvre celui qu’on annonce comme un phénomène, car il ne passe que 3 petites minutes sur la pelouse avant que l’arbitre ne siffle le coup de sifflet final.

 

Rebelote durant les dix journées suivantes où il n’entre en jeu que 4 fois, jamais plus de 10 minutes. Lors du troisième tour de la Coupe de la Ligue, face au PSG, Adu est titularisé, les supporters peuvent enfin le voir à l’œuvre, mais, rien ne se passe… Il faudra ensuite attendre les quatorzièmes, quinzièmes et dix-septièmes journées pour voir Adu jouer une poignée de minutes, toujours sans convaincre. Lors de la dix-huitième journée, Adu entre en cours de match contre Bordeaux lors d’une défaite à domicile sur le score de 4-3. Le grand public ne se souviendra que de son dégagement en corner en fin de match, alors qu’il n’était pressé par aucun joueur bordelais. Corner sur lequel Bordeaux inscrira le but de la victoire.

Adu

Adu signe à Monaco – Source: Foot Mercato

Le constat est sans appel. Freddy Adu a un niveau proche de la CFA (aujourd’hui National 2) et l’on se rend compte qu’après tout, la MLS reste un championnat de cinquième zone. Adu n’était en fait que le précoce roi borgne d’un royaume d’aveugles. Il ne jouera plus aucun match sous le maillot monégasque jusqu’à la fin de la saison.

Mais, Freddy Adu est-il réellement une arnaque ou une erreur de casting ? Sportivement, la thèse de l’arnaque a du poids. Beaucoup de matches joués en MLS, quelques-uns en Europe, très peu de buts. Adu a visiblement été surcoté et sa précocité a fait fermer les yeux sur son niveau réel. Si certains sont encore sceptiques, ils seront convaincus par la suite du parcours de l’américain. En dix ans après son passage à Monaco, il joue pour 10 clubs dans 7 pays différents. Du Portugal aux USA, en passant par la Grèce, la Turquie, le Brésil, la Serbie, la Finlande… jamais avec succès.

L’opération Adu est une réussite selon De Bontin

 

Prenons désormais le point de vue de Jérôme De Bontin. Pour lui, l’opération a tout d’une réussite. L’éphémère président recrute Adu à une époque où le championnat américain est plus exposé que jamais depuis la signature de David Beckham au Los Angeles Galaxy un an plus tôt. Les stades de soccer se remplissent de plus en plus chaque année aux outre-Atlantique et les américains, près de quinze ans après avoir boudé la Coupe du Monde sur leur
sol, commencent à suivre assidûment ce sport jusque-là quasiment exclusivement féminin dans leur pays. Ils se cherchent une star, une idole, une tête de gondole qui réussira dans les meilleurs championnats du monde. Le candidat au poste est tout trouvé, il est jeune, semble être talentueux, courtisé de toutes parts, est sur tous les panneaux publicitaires, à la télé… Il s’appelle Freddy Adu.

 

Beckham

Beckham – Source: hellomagazine.com

De Bontin, l’américanophile, ne peut pas rater l’occasion. Faire venir Adu à Monaco, c’est internationaliser le club de la Principauté et lui ouvrir un nouveau marché, celui de la première puissance commerciale, financière et culturelle au monde. C’est à dire potentiellement, une augmentation du nombre de supporters ou, à défaut, de followers, de grosses rentrées d’argent et éventuellement attirer des fonds d’investissement américains. La stratégie est simple : faire réussir Adu, la nouvelle idole américaine, sur le rocher, augmenter les ventes de maillots de l’ASM outre-Atlantique, vendre les droits de diffusion télé des matches de Monaco aux États-Unis, augmenter sensiblement le rayonnement du club et l’attrait de la Principauté.

 

De Bontin a en plus la lumineuse idée de ne faire venir Adu qu’en prêt avec option d’achat. La raison pour laquelle il n’a joué que neuf matches de championnat est d’ailleurs simple : l’option d’achat aurait été levée automatiquement dès sa dixième apparition en Ligue 1. C’est un coup de maître qu’a tenté de réaliser le président monégasque. Oui mais…

 

Oui mais Adu est un flop et ne s’impose pas en Principauté. Et si, malgré tout, qu’Adu avait eu le bon goût de réussir dans notre championnat… Il suffit de se souvenir du coréen Park Chu Young, débarqué à Monaco le même été que l’américain. La stratégie mise en place était exactement la même que pour Freddy Adu mais cette fois-ci, pour le marché asiatique, coréen plus précisément. Park réalise deux saisons prometteuses et réussit la troisième au point
d’être transféré chez les Gunners d’Arsenal. Il est l’exemple type de la réussite de la stratégie que De Bontin a mis en place sur ces deux joueurs.

Park Chu Young signe à Monaco

Park Chu Young signe à Monaco – Source: ssulbest.com

Finalement, il est clair qu’Adu était une arnaque sportive pour l’AS Monaco, comme pour la majorité des clubs dans lesquels il est passé. Son statut de produit marketing lui a longtemps servi de totem d’immunité et lui a permis de trouver des clubs, encore et encore. Il évolue aujourd’hui dans l’antichambre de la MLS, sous les couleurs des Lights de Las Vegas et n’a toujours pas inscrit le moindre but en cinq rencontres disputées.

 

En termes de stratégie, qu’elle soit sportive, commerciale, culturelle, marketing ou financière, c’est un coup exceptionnel qui a été tenté. S’il avait été réussi, ses conséquences auraient été très bénéfiques et certainement toujours effectives aujourd’hui. Le président De Bontin a été beaucoup critiqué pour avoir voulu gérer le club comme une entreprise en oubliant parfois la dimension sportive de l’AS Monaco. Il a notamment renvoyé sans ménagement Jean-Luc Ettori, figure historique du club, augmenté le prix des places, intégré José Cobos, figure de l’OGC Nice, à l’organigramme du club, traité les Ultras Monaco de « chiens qui crient » ou encore leur a interdit certaines pratiques. Il est malgré tout compliqué de lui en vouloir pour avoir tenté de faire entrer le club dans une autre dimension en l’internationalisant, en le rendant plus rentable et plus influent.

Jordan M. @Jordan_ASMFC

Source photo en-tête: bezszyldu.pl